Les confréries du Landeron, par l’Abbé Bourgoin

Gaston Bourgoin, membre de la Confrérie de Saint-Antoine
Société suisse des traditions populaires, Imprimerie G. Krebs Librairie Editeur S.A., Bâle 1947
Extrait du Folklore Suisse – Tome XXXVII (1947) no.1 et 2

Au milieu des bouleversements que l’histoire du monde entraîne nécessairement avec elle, il est curieux de constater la survivance de coutumes et traditions que les temps révolus nous ont léguées et qui persistent en dépit de tous les obstacles. Telles coutumes locales sont aussi vivaces aujourd’hui qu’il y a quelques siècles ; à les vivre, on respire comme un parfum qui vient du fond des âges.

Les deux confréries du Landeron (1) ont su garder ce cachet un peu vieillot qui fait leur charme et qui est une caractéristique de la vie de l’antique bourgade. L’une est établie sous le vocable de saint Antoine, ermite, l’autre, sous celui des martyrs saints Fabien et Sébastien. Cette dernière, dans le langage courant, s’appelle plus simplement la confrérie de saint Sébastien ; le culte du fameux soldat de Dioclétien, martyrisé sur ordre de son maître, étant plus répandu que le culte du pape Fabien, dix-neuvième successeur de saint Pierre. Quant aux confrères, on leur donne les noms plus populaires d’ »Antoines » et de « Bastiens ».

Une remarque s’impose au début de cette étude. L’appartenance à l’une ou l’autre confrérie n’est pas laissée au libre choix de chacun ; elle est déterminée par la tradition. Seules les vieilles familles bourgeoises du Landeron peuvent en faire partie. Les familles Bourgoin, Girard, Plattet et Varnier forment la confrérie de saint Antoine, tandis que les familles Bellenot, Bonjour, Digier, Frochaux, Gicot, Guenot, Muriset, Perroset, Quellet et Ruedin constituent la confrérie de saint Sébastien.

I Origine

Le culte de saint Antoine ne pénétra guère dans nos régions, avant le XIII ème siècle. A cette époque, une chapelle est placée sous son patronage à Avenches. Un peu plus tard, on lui dédia des hôpitaux : celui de Berne par exemple au XV ème siècle. Quant à saint Sébastien, c’est vers la même époque, semble-t-il, qu’il devint populaire chez nous. Ces deux saints, auxquels on adjoignait volontiers saint Roch de Montpellier, étaient invoqués particulièrement dans les temps de peste (2). L’un des chefs-d’œuvre de Nicolas Manuel Deutsch, conservé au Musée des Beaux-arts de Berne, représente précisément saint Antoine guérissant des malades et des possédés du démon.

Ne faudrait-il pas rechercher dans la dévotion populaire à ces saints, invoqués en temps d’épidémie, l’origine de nos confréries, de celle de saint Antoine tout au moins ? Dès 1357, une confrérie du Saint-Esprit existait au Landeron et y possédait un hôpital. On retrouve dans cette association de charité les noms qui figureront plus tard dans les registres de nos confréries actuelles. Ne pourrait-on pas supposer dès lors qu’on a substitué au vocable du Saint-Esprit celui de saint Antoine, quand la dévotion à ce saint fut répandue dans la paroisse ?

L’origine de la Confrérie de Saint Sébastien est mieux connue. Le 18 janvier 1471, Rodolphe de Hochberg, comte de Neuchâtel, octroyait aux compagnons du Landeron jouant au jeu de la collovrine une première charte de franchise et de libertés. Ce fait laisse supposer que la fondation de cette association d’artilleurs et d’arbalétriers remonte à quelques années auparavant. Malheureusement, ce précieux document qui « n’était qu’en papier » devint « fort caduc et rompu ». Une confirmation de cette première charte devint nécessaire. Elle fut donnée, le 27 juin 1525, par le bailli Bernard Schiesser, qui administrait le compté au nom des douze cantons occupant alors le pays de Neuchâtel. La confrérie avait le droit d’affermer les charrois de vin sur les territoires du Landeron et de Cressier ; elle pouvait « tenir » les jeux de dés et de cartes ; elle organisait les concours de tirs. Mais et cela prouve le rapport existant entre cette compagnie de tireurs à l’arbalète et l’actuelle confrérie, les membres avaient le devoir de faire célébrer une grand’messe le jour de la fête de saint Sébastien et d’y assister.

La charte de 1525 reprend les dispositions des documents antérieurs, en ajoute d’autres, fixe certains détails que nous retrouvons encore aujourd’hui ou qui ont disparu au cours du siècle passé et précise enfin le règlement du tir.

Y a-t-il eu à l’origine une ou deux confréries distinctes ?

La question vaut la peine d’être posée. Le 11 mars 1500, Guillaume, veuve de Jacques Rossel et Girarde, femme de Jean Dosta, toutes deux filles et héritières de « Perresson jaidis femme de Girard Faisieux », certifient que leur mère « à son dernier trespas, a donné ung morcel de vigne gesant ou vignoble du Landeron, … à la chappelle et confrairie de sainct Anthoine, de sainct Fabien et de sainct Sebastien, fondée en l’esglise de Monseigneur sainct Morys, perrochial du Landeron, pour le remede et salust de son ame (3) ». La même année 1500, plusieurs cardinaux, à la demande de noble Jean Brement, châtelain du Landeron, accordent cent jours d’indulgence aux fidèles qui visiteront « la chapelle des saints Antoine, Fabien et Sébastien, située en l’église paroissiale de saint Maurice du Landeron », à certains jours de fête et contribueront à la pourvoir en objets du culte (4). De plus, en 1506, un contrat est passé entre la confrérie et le curé de la paroisse pour régler l’établissement d’un chapelain chargé de célébrer deux messes par semaine à cette chapelle.

D’une part ces textes (le premier surtout) seraient assez clairs pour attester l’existence d’une confrérie unique. D’autre part, ce que nous avons avancé concernant l’origine de la confrérie de saint Sébastien montrerait que dès le commencement, ces associations furent distinctes : en effet, le document de 1525, qui reprend celui de 1471, ne contient aucune allusion à la confrérie de saint Antoine.

A notre humble avis, en 1500, il y avait, semble-t-il deux associations. L’une plus « profane » groupait « les compagnons de la ville du Landeron jouant au jeu de la collovrine » et regardait saint Sébastien comme son patron. L’autre essentiellement religieuse, qui dut succéder à l’antique confrérie du Saint-Esprit, était placée sous le vocable « des saints Antoine, Fabien et Sébastien ». A elle, appartenait la chapelle, (nous dirions aujourd’hui l’autel) dédiée aux dits saints, chapelle, bénéficiaire de la faveur des cardinaux et héritière de dame Perresson.

Sous l’influence des événements provoqués par la Réforme, la société de tir à l’arbalète et à la couleuvrine se vit amenée à prendre diverse dispositions pour aider à protéger la foi catholique dans la petite ville (5). Ainsi, on fixa l’heure des exercices de tir à l’issue du service divin et un article spécial du règlement prévoyait une amende de cinq sols pour « quiconque jurera et blasfémera le nom de Dieu de Nostre Dame et des Saincts … (6).

C’est vers 1538, semble-t-il, que cette association commença à intensifier son caractère religieux sans abandonner pour autant le noble jeu de l’arbalète. Malgré tout, dans la suite, ces exercices perdirent peu à peu de leur attrait. Dès ce moment, les deux confréries poursuivirent les mêmes buts, en suivant des chemin parallèles, l’une, la confrérie de saint Antoine gardant son siège à l’église paroissiale ; l’autre, la confrérie de saint Sébastien établissant le sien en la chapelle des Dix Mille Martyrs, fondée en 1455, dans le bourg même.

II Encore un peu d’histoire

Relevons quelques faits qui ont marqué la vie de nos confréries durant les quatre siècles et demi de leur existence.

Les règlements successifs donnaient des directives précises sur la manière de procéder aux élections des dignitaires. Or, en 1538, la Bourgeoisie prétendit s’arroger le droit de nommer le « Maître » de la confrérie. En date du 3 mars 1538, Georges de Rive, gouverneur du comté, confirma « le droit délire un maître et de lui adjoindre un lieutenant pour le cas où le dit maître serait occupé aux affaires de la Comtesse ou de la Ville du Landeron, ou encore, qu’il soit trop débilité de corps pour gérer sagement les affaires ».

Plus tard, un conflit s’éleva entre les deux associations au sujet de leurs revenus. On leur avait concédé le droit de prélever sur les étrangers habitant le bourg un impôt, dénommé d’abord « quartemps », puis plus tard, « giets d’habitation ». A l’origine, les revenus de cet impôt étaient partagés par moitié entre les deux confréries. Mais la confrérie de saint Sébastien étant devenue la plus nombreuse, réclama le partage par tête. « Messieurs les Antoines » entendaient rester fidèles à la tradition. Le litige, soumis d’abord au châtelain du Landeron, le sieur Bergeon, fut porté ensuite devant François-Pierre d’Affry, gouverneur, qui donna gain de cause à la confrérie de saint Sébastien tout en souhaitant d’ailleurs que les fonds ainsi recueillis constituent un capital destiné «à satisfaire les dépenses et les charges de la Bourgeoisie » (16 septembre 1685). Le conseil ne fut pas suivi. Deux siècles plus tard, le Conseil de ville du Landeron prétendit prélever une certaine somme sur les « giets d’habitation », se montant alors à vingt batz par étranger établi. D’un commun accord, les confréries recoururent au Conseil d’Etat qui, par arrêté du 1er mars 1841, les maintint au bénéfice de la décision de François-Pierre d’Affry, en les chargeant toutefois de l’entretien des rigoles de la ville. Cet impôt fut perçu par les confréries jusqu’en 1858 (7).

Les ressources des confréries avaient fini, à la longue par constituer un petit capital, mis souvent à la disposition des confrères ou des autres habitants du bourg. On a voulu voir dans nos confréries des précurseurs des Caisses de Crédit Mutuel, c’est pousser trop loin la comparaison, résultant du fait que l’on obtenait des prêts de la « bourse » de ces associations. Quand les banques n’existaient pas encore et que l’on avait besoin d’argent, on s’adressait très volontiers aux organisations religieuses qui avaient des fonds à faire valoir. Le curé, le chapelain, le recteur d’un autel prêtaient les capitaux de leurs « bénéfices » et vivaient les revenus (8). C’est certainement en se basant sur les mêmes principes que les confréries du Landeron (et d’ailleurs) ont fait « en quelque sorte figure de banque dans la région (9) ». Quoi qu’il en soit, les taux étaient des plus modestes et les conditions de remboursement très bienveillantes. On a souvent cité le cas de cet emprunt conclu en 1653 et qui ne fut entièrement remboursé à la confrérie de saint Sébastien qu’en 1804.

Les revenus ont aussi servi à des buts d’utilité plus grande. Ainsi en 1728, les confréries participent à la construction de l’ orgue par un don de 60 écus chacune ; en 1829, elles concourent à l’édification de la nouvelle église paroissiale ; en 1865, la confrérie de saint Sébastien aide à la restauration de l’autel principal de la chapelle des Dix Mille Martyrs.

III Les « maisons » des confréries

Le lieu canonique auquel est rattachée la confrérie est évidemment l’autel de saint Antoine, érigé en l’église paroissiale, pour la confrérie de saint Antoine et l’autel des saints Fabien et Sébastien, en la chapelle des RR. PP. Capucins pour la confrérie de saint Sébastien.

Mais dès le milieu du XVI ème siècle, ces associations ont possédé des immeubles. C’est ainsi que la « maison de la tour », située entre la tour de l’horloge et le château, devint en 1542, propriété de la confrérie de saint Sébastien, qui y tint désormais ses assisses. En 1807, lors d’un partage des biens de l’association, cette demeure fut vendue, sous la condition que les Bastiens puissent continuer à s’y réunir. Aujourd’hui cependant, l’assemblée annuelle se tient dans la salle de l’Hôtel de Ville. Quant à la « maison de la tour », la Société immobilière de la Confrérie de Saint Sébastien la racheta en 1917. Cette société, accessible seulement aux confrères (tous n’en faisaient pas partie), s’était constituée uniquement dans le but de conserver à l’association son local traditionnel de réunion. Elle n’avait qu’un rapport indirect avec la confrérie; elle fut liquidée en 1939, lorsque « la maison de la tour » fut acquise par la commune du Landeron.

Au mois de mars 1544, la confrérie de saint Antoine recevait une vigne d’un ouvrier et demi environ que lui avait léguée Bastian Raga « pour le remède de son âme ». En 1550, elle échangeait cette vigne contre une maison, propriété de Pierre Vallier, châtelain du Landeron. Mais parce que « la dite maison était mieux vaillable que la dite vigne », les Maîtres de la confrérie, Jaquet Bourquenier et Varnier Motarde, payèrent en plus la somme de 900 livres, monnaie de Soleure et s’engageaient en outre à acquitter chaque année à l’ancien propriétaire un cens de 18 deniers, comme droit féodal. Trois ans plus tard, la confrérie dut défendre contre les héritiers de Bastian Raga son droit de disposer librement de la vigne en question. Elle obtint gain de cause. La maison était située près du rempart de la cité « devers bize ». Un acte de 1675 attribue à la Ville du Landeron la propriété de « la maison de la Confrairie Sainct Antoine », qui en tous cas, aujourd’hui et depuis plus d’un siècle, appartient à la famille de M. Charles Bourgoin. Cependant, en vertu d’une coutume immémoriale, les confrères continuent à se réunir dans une chambre de cet immeuble, portant le no.35 au cadastre actuel du Landeron. Ils n’ont plus aucun droit réel ; mais cette maison leur ayant appartenu dès 1550 et peut être jusqu’au milieu du XVII ème siècle (10), ils sont venus d’année en année y tenir leurs assises. Au cours du siècle passé, un incendie l’ayant ravagée, le propriétaire, père de notre « tenancier » actuel, s’offrit à demander lui-même la salle de l’Hôtel de Ville et à chauffer ce local provisoire. Dans le même temps, la confrérie réparait à ses frais le beau fourneau de catelles qui orne la chambre familiale (11).

Aujourd’hui, comme autrefois, le confrère traverse le long corridor étroit qui débouche dans le « vicie ! », il gravit les marches de pierre de l’escalier tournant et pénètre dans cette pièce accueillante. Là, il se sent chez lui. Comment pourrait-il en être autrement ? Tant de générations d’Antoines s’y sont succédées ! Dans l’embrasure de la fenêtre, le vieux coffre est ouvert ; un curieux en retire avec respect les antiques parchemins et les papiers jaunis. Autour de la table ronde, le bureau a pris place. Faut-il avouer qu’à la cuisine toute proche, des confrères malicieux « chinent » les propriétaires ? Tout à l’heure, l’assemblée se déroulera dans une atmosphère d’intimité et non sans humour, sous le regard bienveillant de Mgr Besson, dont on voit le portrait au milieu des armoiries des confrères.

Car, et voilà bien une caractéristique de nos confrères, chaque membre des deux associations est tenu d’apposer dans la salle des réunions un panneau peint à ses armes et portant son nom et la date de la réception. Il semble que cet usage exigé par les règlements, remonte au commencement du XVI ème siècle. Après la mort du titulaire, cet emblème personnel est rendu à la famille. Avec les auteurs de ce magnifique ouvrage qu’est l’Armorial neuchâtelois, on ne peut que regretter cette disposition de nos coutumes. Si ces panneaux étaient demeurés la propriété des confréries, comme c’est le cas, à Neuchâtel, pour les panneaux des membres de « la Noble Compagnie des Mousquetaires », ils auraient constitué une source importante de l’héraldique neuchâteloise et landeronnaise (12).

Cependant « Papa Bourquoin », propriétaire actuel de l’antique maison de la confrérie de saint Antoine, se fait vieux. Les « Antoines » pourront-ils toujours se réunir dans leur ancien local, lorsque leur « tenancier » ne sera plus là pour les accueillir ? Les « Bastiens », eux, ont déjà abandonné la « Maison de la tour ». Comme autrefois, ils tiennent leur séance du dimanche de la fête dans la grande salle de l’Hôtel de Ville. Quant à l’assemblée des comptes, elle a lieu dans un nouveau local, mis obligeamment à la disposition des deux confréries par la Corporation de Saint Maurice. Cette association de droit public, à laquelle appartiennent tous les anciens bourgeois du Landeron, possède entre autres le château du vieux Bourg. Une grande salle a été aménagée en salle de théâtre, une autre en salle de réunions pour les sociétés paroissiales. Il restait encore un endroit disponible, la « chambre de la question ». Agréablement restaurée par les soins de la Corporation, cette chambre, malgré les souvenirs funestes qu’elle évoque, est très sympathique. Les Bastiens, qui l’utilisent depuis 1942, y ont déjà aménagé leur coin : une statue de saint Sébastien datant du XV ème siècle domine la rangée des panneaux armoriés et on y peut lire, affiché, un vieux règlement de tir. Les confrères se sentent absolument chez eux. L’âme de ceux qui furent mis à la question en ce lieu ne trouble en aucune manière la réunion qui s’y déroule. Et les gémissements des malheureux prévenus, à qui l’on arrachait des aveux par la torture, ont fait place aujourd’hui à la bonne humeur de chacun des assistants. La « chambre de la question » vous attend, Messieurs des Antoines. Elle n’aura peut être pas l’atmosphère « familiale » que vous aimez à respirer « chez vous », mais vous saurez la rendre si accueillante, que vous y serez parfaitement à l’aise.

IV Maîtres et domestiques

Ne craignez rien, je n’ouvre pas ici un chapitre de sociologie. Mais les dignitaires de nos confréries landeronnaises étant ainsi désignés, il faut bien parler de « Maîtres » et de « Domestiques ». Nous avons dit plus haut qu’en 1538, la Bourgeoisie avait voulu s’arroger le droit de nommer le Maître de la confrérie. Ce droit fut reconnu aux confrères par le gouverneur du comté, Georges de Rive. Tous les règlements, même les plus anciens, font une obligation aux compagnons de choisir parmi eux celui qui sera chargé de gérer les affaires de la confrérie. Autrefois, le Maître des Bastiens devait encore diriger les exercices et les concours de tir. Aujourd’hui, la seule attribution de ce dignitaire est de tenir les comptes de l’association. Depuis un certain temps, en effet, les confréries se sont donné un président pour diriger les assemblées et un secrétaire pour en rédiger le procès-verbal.

Chaque confrère doit remplir à tour de rôle, selon l’ordre chronologique, la fonction de Maître de la confrérie. Au bout de l’année, il dépose son mandat et ses collègues élisent sans difficulté son successeur en la personne de celui qui vient après lui par rang d’âge. Le président se lève et adresse à l’élu le « compliment » suivant : « D’après le rôle et selon le désir des confrères, vous êtes nommé Maître de l’honorable confrérie de saint Antoine. Vous avez sous vos ordres un garçon de confrérie à qui vous faites convoquer les confrères pour assister aux messes et aux enterrements des confrères défunts, lorsque vous en êtes requis. Vous tiendrez bon et fidèle compte des recettes et dépenses des fonds qui vous sont confiés, comme aussi vous serez fidèle à remplir toutes les obligations que votre charge vous impose. C’est ainsi que vous le promettez ? ». Le nouveau Maître donne sa promesse et entre en fonction le lendemain, après la reddition des comptes présentés par son prédécesseur.

« Faire son tour de Maître », pour employer l’expression consacrée est tout un événement, car on n’est Maître qu’une fois dans sa vie (13). Aussi comprend-on la joie du banquet qui, au soir de la fête, réunit autour du Maître sa famille en liesse et ses amis. Dans les réunions amicales de la confrérie, « le Maître doit être gai, souriant, bienveillant pour tout le monde ; il doit savoir faire battre un ban …, avoir le cœur et porte-monnaie sur la main (14) ».

Le Maître est aidé dans ses fonctions par le « garçon » ou, comme on l’appelle plus communément aujourd’hui par le « domestique » de la confrérie. Le « domestique » est élu suivant les principes qui président à l’élection du Maître. A lui aussi, le président adresse la courte allocution suivante : »D’après votre tour de rôle, vous êtes nommé garçon de l’honorable confrérie de saint Antoine. Vous devez porter respect et obéissance à notre Maître, qui vous fera convoquer les confrères pour assister aux messes et enterrements des confrères défunts. Vous tiendrez une liste exacte des manquants sans avoir de « support » pour personne. C’est ainsi que vous le promettez ? ». La confrérie de saint Sébastien choisit toujours deux « domestiques » pour une année, tandis que la confrérie de saint Antoine n’en a qu’un, mais elle le garde deux ans durant.

La charge de « garçon de confrérie » est de « citer les confrères de porte en porte », c’est-à-dire qu’il les convoque aux assemblées, offices et enterrements. Il emploie une formule qui rappelle celle dont usent les huissiers de tribunaux « citant » les témoins à comparaître devant telle ou telle instance judiciaire. Il doit également contrôler les présences, car les confrères absents sans excuse sont passibles d’une amende ; voilà pourquoi on fait promettre au « domestique » de n’avoir de « support » pour personne.

Avant de clore ce chapitre, on nous permettra d’évoquer un souvenir personnel. Les membres externes de la confrérie peuvent être revêtus des différentes charges qui incombent aux confrères. Ils remplissent leur rôle le jour de la fête et se font remplacer pendant la durée de leur mandat. C’est ainsi qu’en 1939, nous étions chargé de la fonction de « domestique », en même temps que notre père remplissait pour la seconde fois celle de Maître. Cette coïncidence était déjà frappante, mais de plus et je crois que c’est là un fait unique dans les annales de nos confréries, nous avions été chargé par le Révérend Curé de la paroisse de prononcer le sermon de circonstance à l’office solennel de la fête. Cet ensemble de coïncidences a non seulement permis au «domestique » que nous étions de remplir son rôle de manière idéale, mais il a fait plaisir à tous les confrères et à toute la paroisse.

V Cérémonies communes aux deux confréries

Plusieurs coutumes et cérémonies sont communes aux deux confréries. C’est ainsi que la veille de la fête, les confrères assistent, les Antoines à l’église paroissiale, les Bastiens à la chapelle de la ville, aux premières vêpres chantées en l’honneur de leurs saints patrons. Le dimanche de la fête, revêtus de leurs habits de cérémonie, frac ou jaquette et « tube », ces Messieurs se disposent à assister à l’office divin célébré à leurs intentions dans leur église respective. L’après-midi, ils reviennent à vêpres, puis ils passent ensemble quelques agréables moments.

Entre temps, a lieu une réunion de caractère plus solennel. Les Antoines la tiennent immédiatement avant Vêpres à leur local habituel, les Bastiens, dès la sortie de l’office, dans la grande salle de l’Hôtel de Ville, qui se trouve au premier étage, au dessus de la chapelle des Dix Mille Martyrs. C’est au cours de cette assemblée que sont désignés les dignitaires de la confrérie et admis les candidats, que dans le langage confraternel, on appelle les « repris ». C’est à dix huit ans révolus que le jeune bourgeois du Landeron est « repris » dans sa confrérie. Il ne peut pas choisir entre les deux, celle des Antoines et celle des Bastiens : son appartenance à telle ou telle confrérie est déterminée par son nom de famille. Dès que l’assemblée s’est prononcée sur l’admission des récipiendaires, le président leur adresse le petit discours suivant : « D’après l’extrait de naissance que vous avez présenté à l’assemblée et ayant l’âge accompli, vous êtes reçus membres bénéficiant de l’honorable confrérie de saint Antoine. Vous devez assister régulièrement aux messes et enterrements des confrères défunts, lorsque vous serez convoqués. Vous promettez en outre de vivre et de mourir dans la religion catholique apostolique et romaine. C’est ainsi que vous le promettez ? » (cette formule de promesse des « repris » et celles que nous avons lues plus haut du Maître et du domestique, sont employées par la confrérie de saint Antoine. La confrérie de saint Sébastien se sert d’une formule à peu près semblable, mais où le serment semble être mieux marqué, puisqu’elle se termine par ces mots : « aussi vrai que vous désirez que Dieu vous fasse paix et miséricorde ».

L’aîné des « repris » complimente alors les confrères. Le compliment, remarque M. Maurice Plattet, à qui nous empruntons ces détails, vieillit souvent dans le secrétaire de la famille … Il en existe quelques types, quelques passe-partout au Landeron. On le fait redire par les fils ou les petits-fils. Les jeunes n’en savent rien et les anciens ne s’en souviennent guère … M. le Curé prononce encore une courte allocution et l’assemblée s’achève par le petit cortège dont nous reparlerons tout à l’heure.

Le lendemain matin, tous se retrouvent à l’église paroissiale et assistent à l’office de Requiem célébré pour les confrères défunts. Au moment de l’offertoire, les confrères s’en vont déposer leur offrande et, de retour à leur place, ils écoutent debout la lecture du « Catalogue des Morts ». De la tribune, où l’orgue s’est tu, le président commence : « S’ensuivent les noms des défunts confrères de l’honorable Confrérie du bienheureux Antoine érigée au Landeron, pour lesquels on fait prières, aussi bien que pour tous les autres morts non ci nommés. » Et la liste d’évoquer depuis trente années en arrière les noms de ceux qui nous ont précédés avec le signe de la foi comme dit la liturgie ; noms de personnes très chères, où l’on retrouve ses parents, ses amis un époux ou une épouse partie prématurément. Ce sont des visages disparus qui reparaissent un instant, portés sur les ailes du souvenir. C’est le passé qui rejoint le présent au cours du Saint Sacrifice de la Messe où les vivants, communiant dans une même pensée, prient pour les morts don on cite les noms et « pour tous les autres non ci nommés ». C’est un vestige des antiques usages de l’Eglise qui, dans ses liturgies anciennes, rappelait toujours par la « lecture des Diptyques » soit le souvenir des défunts, soit le souvenir des absents, à qui l’on restait uni par les liens d’une même foi (15).

Dans ce « catalogue des morts », sont inscrits d’office les confrères défunts, les membres d’honneur de la confrérie et, moyennant un modeste droit d’inscription, les autres défunts pour lesquels on sollicite les suffrages de l’association. Ces nécrologes sont des plus intéressants à consulter. On y trouve les noms des souverains catholiques de Neuchâtel, jusqu’en 1707, et une foule d’indications précieuses concernant les confrères morts au loin et ensevelis, qui à Paris, qui à Strasbourg, en Lorraine et même en Amérique. On apprend qu’un Bonjour était chanoine de Belfort, que Messire Gaberel, curé du Landeron, était bachelier en Sorbonne, qu’un Ruedin finit ses jours à Saint-Domingue et que François-Deogratias Perroset trépassa à Versailles en 1819 (16).

Après l’office des défunts, il est d’usage de boire le verre de l’amitié et de manger le gâteau au fromage. Le lundi après-midi, c’est « l’assemblée des compte ». Le Maître sortant rend compte de son administration et partage le bénéfice éventuel de l’exercice entre les membres présents ou valablement excusés. Cette répartition porte elle aussi un nom spécial : c’est le « bon » auquel on tient non pas à cause de sa valeur, (durant ces dernières années, elle a fortement diminué), mais parce que ce bon représente la part d’un patrimoine que l’on a su conserver. Enfin, « le souper des comptes » réunit une dernière fois les confrères dans la soirée du lundi. Chacun y va de sa chanson ou de son historiette. On « porte la santé » au nouveau Maître et à l’ancien, au « tenancier » … et au confrère que l’on veut honorer et … qui a payé « une tournée » … Et la soirée se prolonge … et parfois, tard dans la nuit, l’on entend quelques refrains joyeux de confrères peu pressés de rentrer. Ce dernier acte de la fête est connu au Landeron, en langage de confrérie, sous le terme de « faire les comptes ». Autrefois, la Ville du Landeron s’associait à « cette comptabilité d’un genre spécial, en offrant le vin d’honneur aux deux confréries ; en 1870, elle préféra faire un geste définitif en remettant à chacune d’elle la somme de 250 francs dont les revenus devaient servir à l’achat du vin d’honneur » (17).

Le décès d’un confrère (ou de son épouse) donne à la confrérie à laquelle il appartient et, par une solidarité pleine d’une affectueuse sympathie, à la confrérie sœur, l’occasion de se réunir autour de sa dépouille mortelle pour l’accompagner à sa dernière demeure. Le cercueil du défunt est revêtu du drap funèbre, marqué au nom de sa confrérie. Au cours de la semaine suivante, celle-ci fera célébrer encore un service solennel pour le repos de son âme, service auquel tous les confrères seront tenus d’assister. A part la fête du saint patron, c’est là la seule manifestation de la vie de la confrérie durant l’année. Mais pour nous qui croyons à l’immortalité de l’âme, au Purgatoire et à la valeur de la prière pour les défunts, n’est-ce pas déjà une consolation de penser que la prière de nos confrères nous aidera à jouir plus tôt du repos éternel ?

VI Les coutumes spéciales

Les confréries qui ont plusieurs traits communs se distinguent cependant par quelques coutumes spéciales sur lesquelles il est bon de s’attarder un peu.

Et d’abord, qu’y a-t-il de particulier chez les Antoines ?

Rappelons que le siège canonique de cette confrérie est l’église paroissiale qui possède un autel dédié à saint Antoine. Une ancienne statue le surmonte que l’on décore d’un bouquet le jour de la fête. Le dimanche où dans nos paroisses mixtes on célèbre la fête de l’Epiphanie, donc le premier ou plus généralement le deuxième dimanche de janvier, les Antoines se réunissent pour « l’assemble de la vecque (18)». C’est une réunion préparatoire à la fête proprement dite, qui tire son nom d’un petit pain au lait de forme spéciale que reçoit chaque confrère. La « vecque » est un petit pain allongé, terminée par deux petits bourrelets, deux têtes, le long de laquelle le boulanger a, de la pointe d’un couteau, relevé un peu la pâte en plusieurs endroits disposés symétriquement. La « vecque », accompagnée d’une chopine de « Neuchâtel », est pour ainsi dire le jeton de présence attribué à chaque participant. Il va sans dire que la chopine est bue immédiatement, tandis que la vecque est réservée pour la maman ou les gosses. Nous n’avons pu recueillir aucun renseignement sur l’origine, la forme et le symbolisme de ce petit pain bien spécial aujourd’hui au Landeron. Nous ne sommes pas loin de croire à un vestige d’une très ancienne coutume … (19).

La fête principale a lieu le dimanche le plus rapproché de la fête de saint Antoine ermite, (17 janvier). A l’offertoire, tandis que par rang d’âge, les confrères s’avancent vers la table sainte pour déposer leur offrande et recevoir la bénédiction du prêtre (20), le chœur mixte chante la complainte traditionnelle à saint Antoine. Cette complainte semble avoir été composée au Landeron par un confrère de saint Antoine à une époque qu’il est impossible de déterminer. Elle a été plusieurs fois remaniée et corrigée. La version actuelle est due à la plume de M. Jean-Baptiste Bourgoin.

Au début de l’après-midi, les confrères tiennent leur séance solennelle où les dignitaires sont élus et admis « les repris ». Puis, deux par deux, précédés des Maîtres ancien et nouveau, celui-ci arborant avec fierté le bouquet blanc, insigne de sa dignité, ils se rendent en cortège à l’église, où ils assistent à vêpres, Les « repris » sont eux aussi décorés, ils portent le bouquet rouge et, avec le domestique également fleuri de rouge, ils ferment la marche.

Quant aux Bastiens, c’est en la chapelle des Dix Mille Martyrs, « dans la Ville », qu’ils célèbrent leurs patrons, saint Fabien et saint Sébastien, au jour même de leur fête, le 20 janvier, ou le dimanche suivant. Tous les fidèles se joignent à eux pour assister aux offices paroissiaux, dans ce lieu de culte cher aux catholiques landeronnais, où la veille déjà, ont été chantées les premières vêpres. Durant l’offrande, c’est aux accents du Sanctorum meritis, l’hymne consacré aux martyrs par la liturgie, que les Bastiens défilent. Après la messe, le célébrant bénit le vin que l’on offre aux confrères. La séance plénière suit immédiatement et se déroule dans la grande salle de l’Hôtel de Ville avec le même cérémonial employé le dimanche précédent par les Antoines. La séance levée, les confrères se groupent en un cortège se déroulant au son du tambour, tout autour de l’allée de tilleuls, plantée vers 1812, par Lespérut, gouverneur de la Principauté de Neuchâtel pour le prince Berthier. Aujourd’hui le cortège se disloque devant l’hospice des RR. PP. Capucins. Il n’y a pas si longtemps, on s’arrêtait devant la vieille cure, comme autrefois, lorsque M. le Curé y résidait.

Pour participer au cortège, les « repris » et les « domestiques » portent le bouquet rouge. Mais l’ancien et le nouveau Maître arborent chacun une chaîne d’argent, dont l’une artistiquement travaillée offre un intérêt particulier. La tradition en fait un cadeau de la duchesse de Nemours à la confrérie (21). Melle Noseda, à qui nous empruntons ce renseignement, a relevé encore à ce sujet dans le « Registre des Protocoles », que la confrérie de saint Sébastien avait même pris, en 1865, « la décision héroïque de vendre la chaîne d’argent déposée au coffre et d’en allouer la valeur pour contribuer aux réparations » de l’autel de la chapelle des Dix Mille Martyrs, qui tombait en vétusté. « Mais le premier feu de l’enthousiasme passé, on réfléchit … Et voici ce que nous lisons au procès-verbal de la séance suivante : Un membre de la confrérie a exposé la douleur et le regret que plusieurs confrères ont éprouvés en apprenant que la chaîne en argent déposée au coffre allait être vendue. Il fait la proposition de conserver ce glorieux souvenir des temps passé, souvenir donné à nos ancêtres comme un gage de leur fidélité inviolable à la religion catholique, mais en même temps de se procurer par une souscription la somme votée hier pour les réparations à faire à l’autel de la chapelle. Cette proposition a été mise aux voix et votée à l’unanimité (22) ».

… Après le cortège, chacun s’en va dîner puis revient assister à vêpres et la fête se déroule suivant les rites traditionnels.

VII Membres d’honneur de la confrérie

Nous avons eu l’occasion de voir au cours de cet exposé que seuls les bourgeois du Landeron – qu’ils habitent la localité ou qu’ils résident au dehors – peuvent être membre, les uns de la confrérie de saint Antoine, les autres de la confrérie de saint Sébastien. En sera-t-il toujours ainsi, ou bien les confréries admettront-elles un jour dans leur sein d’autres familles de la paroisse ? Ce serait logique, puisque les nouveaux venus partagent la même foi que les « confrères », remplacent ceux qui ne sont plus. A ce point de vue pourtant, l’état d’esprit actuel est le même que celui d’autrefois : les confréries restent fermées aux « étrangers ». En 1827, à la demande de Nicolas Weber d’être admis membre de la confrérie de saint Sébastien, il fut répondu, après qu’on en eut délibéré en séance, « qu’il n’y a pas d’exemple que la confrérie ait reçu aucun étranger comme membre honoraire, mais pour faire plaisir au dit Weber, on le reçoit pour les prières seulement, et sans qu’il puisse participer à aucun avantage ni avoir voix délibérative dans les assemblée de la confrérie (23) ». C’est net et cette règle a toujours été observée par les deux parties jusqu’à présent, quoique la confrérie de saint Antoine avec ses quatre familles et ses quelque quarante membres risque fort de disparaître … après quelques générations, à moins qu’un sursaut de vitalité n’écarte le danger. Quant à la perspective d’une fusion des deux vieilles associations parallèles, il n’en est pas question pour le moment, chacune respectant ses traditions propres et préférant rester sur ses positions.

Les confréries ne font par contre aucune difficulté « d’inscrire pour les prières » les personnes qui sollicitent cet honneur. Leurs noms seront portés après leur décès « au catalogue des morts » et seront lus au cours de l’office de Requiem, le lendemain de la fête des saints patrons. Certaines personnalités, inscrites sur les registres, sont nos confrères d’honneur. Tels sont M. le Curé de la paroisse, les Révérends Pères Capucins en résidence au Landeron, les prêtres invités à prononcer le sermon de circonstance à l’occasion de la fête. C’est ainsi qu’en 1922, Mgr Marius Besson (évêque du diocèse) a été reçu confrère d’honneur de la confrérie de saint Sébastien et, en 1929, de la confrérie de saint Antoine. (Mgr Besson, ne manquait jamais, lorsqu’il évoquait ces souvenirs de terminer son récit par ses mots : … Et ces Messieurs m’ont fait jurer de rester toujours bon catholique !).

VIII Petites histoires

On nous permettra de reproduire ici un passage des « Francs propos sur les confréries » que M. Maurice Plattet a publiés en 1941, dans le « Messager catholique romand », et que nous avons souvent cité. L’auteur qui connaît bien Le Landeron et ses traditions nous révèle quelques traits caractéristiques de la vie intime des confréries. Voici ce passage intitulé La petite guerre …

« Les archives nous rapportent qu’en 1538 les confréries se brouillèrent … avec la Bourgeoisie, au sujet de la nomination du Maître que chaque partie voulait nommer. On choisit comme arbitre Georges de Rive. A une autre époque encore, la confrérie de saint Antoine eut à soutenir un procès … contre celle de saint Sébastien … est-il étonnant, dès lors, que l’on se livre encore quelquefois, à la petite guerre ?

« Les Bastiens s’arrêtent volontiers à leurs hommes de tête … à leurs gens bien et influents. Ils sont surtout fiers de leur nombre et sont portés à considérer ces pauvres Antoines comme une quantité négligeable. Les Antoines, pour se consoler … se flattent de représenter le « bourgeois moyen » du Landeron, l’authentique terrien courbé sur son outil, une société plus homogène où l’on se sent mieux chez soi parce que l’on est peu nombreux … Les Antoines … c’est pas les Bastiens, déclarait une fois au cours d’une discussion nourrie un brave confrère qui n’est plus …

« Et les dames et les demoiselles du Landeron ? N’entourent elles pas de beaucoup de sollicitudes leurs chers confrères ? Chaque année, tante Hélène pour les Antoines, tante Clémence pour les Bastiens, préparent avec dévouement les bouquets rouges des « domestiques » et des « repris », le bouquet blanc du Maître de saint Antoine.

« Certain jour de fête, le Maître de saint Sébastien avait oublié de commander « le tambour ». Ce fut dans le quartier un émoi bien compréhensible. Le cortège allait s’ébranler dans un silence décevant lorsque du seuil de sa porte, ma chère marraine courut à la chapelle, donner l’alerte, pour faire sonner la petite cloche. Et cette brave Landeronnaise qui, refermant sa fenêtre sur le cortège disloqué, disait avec fierté … »également, ces Bastiens … des autres hommes », laissant entendre ainsi qu’ils étaient autres … que les Antoines.

Un jour enfin … une jeune fille de mon quartier mit à rude épreuve mon amour-propre d’Antoine, en me fichant au nez … que les Bastiens n’étaient pas 29 … Voilà quelques touchantes anecdotes qui prouvent combien le vieux Landeron vibre d’enthousiasme pour ses confréries …

Je connais des bourgeois du Landeron qui personnifient leur confrérie. Ils font plaisir à voir, tant ils la « vivent ». Chaque année, à l’occasion de la fête, ils vous ouvrent leur cœur, ils vous racontent les mêmes histoires et vous chantent les mêmes chansons. Quand ils ne sont plus, la chanson disparaît avec eux dans la tombe … Braves gens … Innocente petite guerre. Il ne faut pas les oublier. Les vivants et les morts ne forment-ils pas qu’un pays, qu’un monde ! … «

Les Confréries de Saint Antoine et de Saint Sébastien n’ont plus l’importance qu’elles avaient autrefois. Et cependant, elles restent un élément caractéristique de la vie du vieux bourg. Fidèles à leurs coutumes, elles relient le passé au présent. Aujourd’hui, la vie paroissiale repose sur des sociétés largement ouvertes à tous les paroissiens et adaptées aux besoins des temps actuels. Mai si Le Landeron a conservé un attachement indéfectible à la fois de ses aïeux, s’il a gardé cet esprit de fidélité à ses traditions, il en est redevable aux confréries qui ont laissé leur empreinte bienfaisante sur toutes les pages de sa longue et glorieuse histoire …
‘, ‘1. Pour écrire cet exposé sur les Confréries du Landeron, nous nous sommes largement inspiré des travaux de
nos devanciers à qui nous exprimons notre reconnaissance. C’est en premier lieu Mademoiselle Marguerite
Noseda, à qui ses attaches avec Le Landeron ont permis de publier dans Le Musée Neuchâtelois un article
des mieux documentés sur la Confrérie de Saint Sébastien. L’Essai que M. Plattet a publié dans le Messager
catholique romand nous a été très utile, ainsi que les travaux de collation de documents anciens de M.
Edouard Girard.

2. L’église paroissiale du Landeron conserve une statue de saint Roch provenant de l’ancienne église.

3. Parchemin aux archives de la confrérie de saint Antoine, collationné et aimablement communiqué par M.
Edouard Girard.

4. Communications de M. E. Girard.

5. Rappelons que malgré les assauts répétés de la part de Neuchâtel et de Berne et grâce à l’appui de Soleure,
Le Landeron conserva sa foi catholique.

6. Règlement de 1578. Cf. Musée Neuchâtelois, 1927, p.115

7. Marguerite Noseda. L’honorable confrérie de SS Fabien et Sébastien au Landeron, Musée Neuchâtelois.
Nouvelle série, XIV année (1927), p. 118

8. Il n’est pas juste de dire que les bénéficiers prêtaient de l’argent provenant de leur bénéfice, car tout
prêteur à intérêt était traité d’usurier. Pour tourner la difficulté, le bénéficier achetait un cens d’un
certain montant payable annuellement et le payait par le versement d’un capital. Voici un exemple tiré des
Archives de la Cure de Saint-Martin-de-Vaud (canton de Fribourg) : « Ego Jordanus Bocze de Bussignye
parrochie ipsius loci rectori altaris B.M.V. in eccl. S. Martini Waudi, quatuor solidos bonor. Laus census pro
quattuor libris ex lagato … » De cet acte de vente, conclu le lundi avant la St Laurent 1448, il ressort que le
chapelain de l’autel de Notre-Dame a remis à Jordan Bocze le capital de 4 livres contre un cens, un intérêt
annuel, de 4 sous bons lausannais.

9. Noseda. Loc. sit.

10. Noseda. Article cité.

11. Une reconnaissance de 1615 attribue encore à la confrérie la propriété de cet immeuble. Tous ces
renseignements sont tirés des archives de la confrérie de saint Antoine et communiqués par M. Edouard
Girard.

12. Cf. Léon et Michel Jéquier, Armorial neuchâtelois, Editions de la Baconnière. T.I p. 21.

13. Normalement du moins, car les Antoines peu nombreux, sont obligés actuellement de faire un second tour
« pour ne pas devoir élire un jour un Maître au berceau ! »

14. Maurice Plattet. Croquis landeronnais, Francs propos sur les confrères, dans Messager catholique romand,
1941, p.43.’, 815, 3404, 2

 

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